11 juin 2006

La Chureca

PS : Jen, Ajool, Red, I promise the next text will be in english!

Avant de débuter, je vous demanderais d’observer une minute de silence.

Une minute de silence en l’honneur de votre mère, de votre grand-mère et de toutes ces femmes qui hier, et encore aujourd’hui, font leur lavage à la main. Lorsque vous aurez observé ce moment de recueillement, je vous inviterais à vous lever et à vous diriger immédiatement vers cette machine extraordinaire qui vous permet de vous vêtir proprement à toute heure du jour et de la nuit. Faites-lui une caresse. Dites-lui combien vous l’aimez et combien vous appréciez sa présence. Remerciez-la pour ses bons services et jurez-lui fidélité jusqu’à la fin de ses jours. Elle vous le rendra aux centuples… ;)

Mais un peu plus sérieusement, mon texte d’aujourd’hui s’impose de lui-même. Le contraste est trop grand. Le fossé qui nous sépare est trop profond.

La semaine qui vient de se terminer en était une d’acclimatation pour le groupe. Nous n’avons donc pas travaillé, nous avons plutôt visité les ruines d’Acahualinca (le quartier où nous habitons), un marché d’artisanat, le Palacio Nacional (musée de la culture), en plus de passer du temps au centre pour faire connaissance avec les jeunes avec qui nous passerons l’été. La semaine a été plus intense pour certaines personnes que pour d'autres, et toutes se sont acclimatées à leur manière. Mais vendredi matin, nous sommes entrés à La Chureca…

La Chureca, c’est le dépotoir de Managua. Un des plus gros en Amérique Latine semble-t-il. La Chureca est située à environ 20 minutes à pied d’où nous habitons. On traverse d’abord une section d’Acahualinca où la plupart des rues sont en terre battue. Les petites maisons y sont plutôt…comment dire…rustiques? Déjà que ça nous semble un peu surréel parfois de nous promener dans Managua et de voir une jolie maison peinte en rose ou en bleu, et puis juste à côté une maison et sa clôture faites de vieux bouts de bois, de vieux plastiques et de vieilles tôles. Alors dans cette partie d’Acahualinca, disons que la concentration de ces « maisons » est plus grande. Vous remarquerez que j’ai mis le mot « maison » entre guillemets car cela n’a rien à voir avec notre conception nord-américaine de la chose.

Imaginez la scène un moment : Huit étrangères, blanches de surcroît, accompagnées de quelques ados du coin qui défilent dans ce quartier où les Nicaraguayens eux-mêmes n’osent parfois pas aller. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne passions pas inaperçues. C’est ainsi que nous nous sommes rendues jusqu’à une centaine de mètres à l’intérieur de la Chureca.

La scène était incroyable : des déchets, des millions et des millions de déchets à perte de vue. Des chiens, quelques vaches et un taureau qui cherchent leur pâture dans cet amas d’immondices issus de notre consommation à nous, les êtres « humains ». Nous sommes entrés à pied en marchant sur la balance où les camions se font peser. Des petits feux de déchets ça et là, une vision d’apocalypse post-moderne. Des larmes d’impuissance ont coulé sur les joues de certaines d’entre-nous. D’autres sont restées bouche bée. Mais une chose est certaine : la Chureca ne peut laisser personne indifférent.

Une jeune fille s’est approchée de nous. Onze ans qu’elle avait je crois. Eleana qu’elle s’appelait. Elle nous souriait, un peu gênée. Mais ce qu’elle était belle avec son sourire étincelant. Elle portait une jupe marine pour l’école et un chandail en lambeaux. Elle a échangé avec nous quelques minutes. Nous l’avons quitté en la saluant et en lui souriant. J’imagine qu’elle est retournée travailler.

Environ 300 familles vivent DANS la Chureca. Vous avez bien lu : 300 familles qui se réveillent, travaillent, mangent et dorment tous les jours DANS la Chureca. Nous n’y avons passé qu’une quinzaine de minutes et c’est vraiment le genre d’endroit où vous respirez par la bouche au lieu du nez (non Marc, ça goûtait pas!). Ces familles fouillent les ordures à la recherche de tout ce qui peut se recycler : contenants en verre, sacs de plastique, bouteilles de boisson gazeuse, métal, etc. Ces objets sont ensuite vendus à d’autres familles qui se chargent de les nettoyer et de mettre les couvercles correspondants pour les revendre en gros à un prix supérieur. C’est ainsi que des centaines de familles d’Acahualinca vivent de la Chureca. Qu’ils vivent à l’intérieur ou aux alentours, ce dépotoir permet à des milliers de personnes, du plus jeune au plus vieux, de lutter pour leur survie.

Je n’ai pas beaucoup parlé en sortant de la Chureca. Des camions entraient pour aller déverser leurs déchets, des gens venaient à pied avec leur « pic » à la recherche de quelques rebuts qui leur rapporteraient quelques cordobas. J’ai croisé un vieil homme qui chantait en attelant son cheval à sa petite charrette. Il m’a souri. C’était probablement pour lui un matin comme tant d’autres. Pas pour nous.

Pleins de questions nous assaillaient : Pourquoi, en 2006 et avec toute la richesse qui existe sur notre planète, est-il permis que des êtres humains, que des enfants, vivent et travaillent dans de telles conditions? Que fait le gouvernement? Que font les organisations de la société civiles? Que pouvons-nous faire? Que puis-je faire? Pourquoi eux et pas nous?

Il existe bien quelques organisations qui viennent en aide principalement aux enfants de la Chureca. Y’a un « père » entre autre qui a mis sur pied une école pour ces enfants. Ces derniers y reçoivent donc nourriture et éducation, tout en se faisant évangéliser en passant… Mais le problème est tellement grand. Par où commencer?

Au retour nous avons discuté avec les jeunes qui nous avaient accompagnées ainsi qu’avec Léana, la travailleuse sociale de ACJ, l’organisation avec laquelle nous travaillons. Bien que la discussion fût fort intéressante, plusieurs questions demeurent pour moi sans réponse. Elles le demeureront probablement encore longtemps…

Mais elle est aussi belle, la vie à Acahualinca!

Mais elle est aussi belle, la vie à Acahualinca! Par exemple, aujourd’hui avait lieu dans le quartier une fête pour les jeunes. En l’honneur de la semaine de la jeunesse qui vient de se terminer, des clowns animaient les jeunes du quartier. Des courses dans des poches de patates, des courses avec une un œuf dans une cuillère qu’on tien avec la bouche, etc. Un acte de théâtre sur les droits des enfants a aussi attiré notre attention. On y expliquait que les enfants ne devraient pas être dans la rue à vendre des bouteilles d’eau. Que les enfants ne devraient pas travailler. Que les enfants ont le droit de jouer, etc. De l’intervention théâtrale bien adaptée quoi...

Des nouvelles du conflit avec Union Fenosa

Un appel avait été lançé afin que les citoyens de Managua se rassemblent devant les bureaux d’Union Fenosa, la compagnie d’électricité privée qui fait la pluie et le beau temps en coupant où et quand bon lui semble. Ben vous voulez savoir? À peine plus d’une centaine de personnes se sont présentées.

Je me suis posée la question : pourquoi est-ce que les gens ne se sont pas mobilisés? J’ai l’impression qu’ils sont tellement habitués à subir les sautes d’humeur des grands de ce monde qu’ils courbent l’échine. Ils sont aussi, pour beaucoup d’entre eux, pas mal plus dans un mode de survie que nous les nord-américains... Mais quand j’y pense, je me dis que ceux qui fraudent – et il y en a beaucoup – ne se bousculent certainement pas pour critiquer. Et puis ceux qui ont les moyens de payer, ben ce sont ceux qui travaillent... Ils sont donc au boulot le vendredi matin...

Bref, j’étais ben déçue de regarder les nouvelles vendredi! Pas que les nouvelles sont habituellement réjouissantes, mais bon...

Allez, je me sauve ! J'aurais bien d’autres choses à vous raconter mais faut que j’en garde pour une prochaine fois !

Mouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuan ! Et comme d’habitude, c’est toujours un plaisir de vous lire...

Marjo xx

PS : Si jamais vous voulez m’écrire et m’envoyer le tout avec un bon vieux pigeon voyageur, voici l’adresse où envoyer le courrier. Mais ne tardez pas trop, je ne sais pas combien de temps le pigeon prendra pour se rendre jusqu’ici…

Casa de Dennis Medina A/S Margo Leblanc
De las huellas de Acahualinca 2½ al lago
Calle principal, a mano derecha
Managua
NICARAGUA

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Salut Marjo,
Comme tu dis, le contraste est immense, quasi surréel. Notre monde est malade, une chance qu'il y a des infirmières de la Terre comme toi pour le soigner et inspirer les autres à en faire tout autant.
Je t'aime fort
Bisous
Andrée-Anne

Anonyme a dit...

Du haut de mes dix mois, je ne peux qu'espérer. Espérer des forêts gigantesques, des rivières où je pourrai me baigner, une planète où le bien commun passera avant les profits. Moi et mes parents, on va y travailler. Parce qu'il y a bien beau espérer, il faut aussi s'engager...
Je te fais un gros câlin bien baveux
Léonard